Apologie du logiciel libre dans les institutions d’enseignement

 

« La prochaine commande de logiciels du gouvernement du Québec, commande de plus de 1 milliard 400 millions, ira en totalité à des compagnies de logiciels propriétaires. Rien pour le libre. »

Daniel Pascot, président de FACIL 1

La liberté pour Jean-Paul Sartre s’exprime par notre capacité à faire des choix. Pour cet homme d’action, même lorsque l’on ne choisit pas, on choisit. On choisit de ne pas choisir. Nous avons tous délibérément choisi de ne pas choisir de logiciels libres dans nos milieux de travail, dans nos classes, dans nos syndicats, dans notre fédération ou dans notre vie citoyenne. Ce qui implique d’importantes conséquences.

Locataires de nos moyens de production 

Les intrusions du privé dans le système d’éducation public québécois sont nombreuses et cette tendance lourde ne nous semble pas évidente à infléchir. Une manifestation de la marchandisation de l’éducation plus apparente, et qui est malheureusement moins souvent objet de revendication, est celle du recours systématique aux logiciels propriétaires. Comme si ce recours était naturel et que nous étions condamnés à rester éternellement locataires. Pourtant, nous avons besoin en tant qu’enseignantes et enseignants de recourir au matériel informatique comme nous avons besoin de respirer. L’air est un bien commun, les programmes informatiques ne nous appartiennent pas même si nous en sommes esclaves.

Le matériel informatique comme bien commun 

Vous fermez votre téléphone intelligent en arrivant dans votre salle de classe. Vos étudiantes et étudiants le font aussi pour vous éviter de ne communiquer qu’à des têtes penchées. Ont-ils encore des yeux ? Vous donnez un cours sur la collaboration, le travail d’équipe et les exigences éthiques de la vie en société. Ce cours, vous l’avez préparé à la maison à la sueur de votre plaisir en utilisant un logiciel Microsoft, un logiciel propriétaire. En classe, vous présentez vos notes de cours sur un incontournable « PowerPoint » sans vous rappeler qu’en français on dit : diaporama. Comme si le diaporama était disparu pour devenir une marque de commerce de Microsoft, tout comme le fichier « Excel » qui remplace la feuille de calcul. Comme s’il n’y avait aucune alternative à l’utilisation de ce produit. Votre institution a installé la toute dernière version partout. Vous en perdez votre latin. L’organisation visuelle du logiciel est totalement nouvelle. Vous devez vous le réapproprier. Il est plus ou moins compatible avec la version que vous pensiez posséder.

Vous voulez utiliser une police qui facilite la lecture à vos étudiantes et étudiants dyslexiques. Jugée trop dispendieuse et, peut-être par scepticisme ou ignorance, qui sait, votre institution refuse de procéder à son installation. Vous proposez une version libre de droit. On vous répond que c’est trop compliqué. C’est souvent compliqué, la gestion des programmes dans les institutions d’enseignement…

Les notes finales, vous les faites parvenir par Omnivox, ou un truc du genre que votre institution a acheté exprès pour ça, sans réellement vous consulter à propos d’applications pédagogiques plus satisfaisantes. Après tout, les logiciels n’ont pas à être au service de la pédagogie.

Vos collègues travaillent sur le logiciel Autocad, hors de prix pour les étudiants. Il y a des bugs dans la dernière version et il est impossible qu’ils effectuent eux-mêmes les corrections. Vos collègues doivent attendre la prochaine version que l’institution achètera à fort prix. Conscients de cette situation, vos collègues procèdent à la création d’un logiciel maison qui serait plus adapté au contexte pédagogique. L’aventure est un désastre. Le système maison est incompatible avec le système d’exploitation de l’institution. Ce serait compliqué de le faire « rouler ». C’est souvent complexe, la gestion du parc informatique dans les institutions. Seuls certains en ont la capacité. Pourtant, les institutions ont les moyens de dégager des programmeurs qui pourraient par exemple les assister dans la création de logiciels alternatifs et procéder à les adapter aux besoins de leurs cours.

Épuisé, vous vous changez les idées en faisant votre rapport d’impôt. Vous vous butez encore à la présence et à l’utilisation systématique de logiciels propriétaires dans toutes les sphères de votre vie : vous devez débourser pour utiliser le logiciel obligatoire pour faire votre devoir de citoyen.

Les vertus du libre

Contrairement au logiciel propriétaire, le logiciel libre, parce qu’il est plus souvent gratuit, permet d’échapper à la prison de la consommation. Contrairement aux logiciels dont les profits n’appartiennent qu’à des multinationales, le modèle du logiciel libre correspond davantage au modèle coopératif. Ce sont des utilisateurs qui en deviennent les producteurs. Les améliorations des produits correspondent aux besoins réels des utilisateurs. Ils ne créent pas le besoin, ils y répondent. Ils permettent à plusieurs d’exprimer leur créativité. Ils sont le produit de l’intelligence collective. Ils favorisent le partage du matériel, de la connaissance et du savoir. Ils rendent les utilisateurs moins dépendants et plus autonomes, plus actifs que passifs. Sur le plan pédagogique, ils permettent des ajustements rapides au contexte d’apprentissage et ouvrent la voie à des expériences pédagogiques de collaboration et de création. Pour Patrice Bertrand, président du Conseil national du logiciel libre, « l’open source ouvre un univers qui relève d’une démarche humaniste, par laquelle nous bâtissons ensemble un patrimoine de connaissances disponibles pour l’humanité entière ».

Et si…

Et si, à l’instar de nos collègues du Cégep de Rimouski, de certains ministères français (la France s’est dotée d’un Ministère de l’économie numérique), de certaines municipalités européennes, de certaines universités parisiennes et de bien d’autres institutions à travers le monde, nous osions passer au libre ? Et si la CSN, la FNEEQ migraient vers le libre ? Et si votre institution, votre syndicat le faisait aussi ? Et si on commençait progressivement à être libre en libérant quelques postes de travail pour les utilisateurs qui en éprouvent le besoin ? Et si l’exploration et la participation active au monde informatique faisait maintenant partie de la vie académique ?

Le comité école et société FNEEQ

On peut rejoindre le comité école et société à l’adresse : cesfneeq@csn.qc.ca

  1. FACIL, pour l’appropriation collective de l’informatique libre, est une association à but non lucratif dédiée à la promotion de l’informatique libre et des formats ouverts.

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