Quelques réflexions autour des consultations sur le Conseil des collèges et les modifications au RREC

Quelques réflexions autour des consultations sur le Conseil des collèges et les modifications au RREC

par le comité École et société [1]ecole-et-societe

ecole_et_societe@spcsl.org

 

Le ministère mène actuellement des consultations sur la création de trois nouvelles instances en enseignement supérieur, soit un Conseil des universités, un Conseil des collèges et une Commission mixte de l’enseignement supérieur. Les consultations concernent également des modifications au Règlement sur le régime des études collégiales (RREC). Le comité École et société local s’est penché sur le document de consultation « Projet de création des collèges du Québec ». Il propose ici un petit historique ainsi que des pistes de réflexion sur quelques-uns des enjeux soulevés par ces consultations.

 

Que peut-on apprendre de l’histoire du conseil des collèges et des coordinations provinciales ?

* Le conseil des collèges a été créé en 1979 au même moment où la question de l’évaluation des cégeps est transférée à la Fédération des cégeps.

* Le mandat général du conseil était de donner des avis au ministre de l’Enseignement supérieur et de la Science sur les projets de règlements ainsi que sur tout autre question concernant l’enseignement collégial qui lui est référée par le ministre. Le ministre avait l’obligation de consulter le conseil au sujet d’un certain nombre de questions.

* Le mandat du conseil incluait de « procéder à l’examen des politiques institutionnelles d’évaluation et de la mise en œuvre de ces politiques » et d’  « offrir aux collèges un service d’évaluation de leurs programmes d’enseignement ou d’un aspect quelconque de leur pratique institutionnelle ». Le conseil des collèges était assorti d’une commission d’évaluation jouant un rôle similaire à la CEEC (Commission d’évaluation de l’enseignement collégial), mais sous la gouverne du conseil.

* Le conseil des collèges a été aboli en 1993 lors de la réforme Robillard; sa commission d’évaluation a été transférée à la CEEC à ce moment.

* Le conseil des collèges a produit plus d’une centaine de rapports,  mémoires, avis et lettres pendant son existence.

* Pendant ses années d’existence, seulement huit professeurs ont siégé au conseil.

* On a critiqué le conseil à sa création pour le fait que c’était une structure non-démocratique qui ne permettait pas le type de consultation du milieu envisagé dans le rapport Parent. Les contradictions possibles entre le rôle de conseil du ministre et des collèges et celui d’évaluateur ont certaines similitudes avec certains reproches exprimés envers la CEEC : le pouvoir d’évaluer peut permettre d’imposer une certaine vision des collèges sans avoir consulté adéquatement le milieu.

* Les coordinations provinciales, abolies lors de la réforme de 1993, avaient elles aussi un pouvoir de recommandation auprès du ministre. Leurs membres étaient nommés par les départements. Cette structure subsiste aujourd’hui pour la formation générale uniquement ; le retour des coordinations provinciales est une revendication syndicale à chaque négociation depuis 1993.

 

De la précipitation et du progrès en éducation

Du « Projet de Conseil des collèges du Québec » et des consultations qui l’entourent, on doit peut-être d’abord et avant tout questionner la précipitation. Que peut-on attendre d’une consultation annoncée en plein été, le 12 juillet dernier, et se tenant en quelques semaines, ce mois d’octobre ? Dans un tel délai, les « acteurs intéressés » et autres « partenaires du milieu collégial », dont les professeurs, à qui on demande leur avis, n’ont bien sûr pas le temps d’entamer une véritable réflexion collective sur « des propositions qui visent à permettre l’évolution du réseau collégial ». On en est réduit, dans les circonstances, à réagir dans l’urgence, en chiens de garde, face à des visées plus ou moins claires de « modernisation », alors que rien ne semble justifier une telle précipitation, sinon la fuite en avant et la rhétorique du progrès qui tient justement lieu de « mise en contexte » pour ce grand branle-bas.

Le document de consultation intitulé « Projet de création du conseil des collèges du Québec » regorge d’expressions qui donnent l’impression que le seul et unique enjeu touchant les cégeps et l’éducation qu’ils prodiguent en est un d’adaptation et de mise à la page. On ne cesse de revenir sur la « capacité à s’adapter, à évoluer et à engendrer le progrès », de « permettre l’évolution du réseau », de « développer l’expertise nécessaire à l’actualisation, à la pertinence et au progrès continu de l’enseignement supérieur et du système collégial québécois dans son ensemble ». On parle également des « changements dans les attentes des étudiants qui ont influencé les modes d’enseignement » et de « croissance constante des technologies de l’information qui ont révolutionné la façon d’offrir l’enseignement collégial ». Mais, à l’exception d’une seule phrase où l’on mentionne au passage que « les établissements d’enseignement supérieure forment des citoyens critiques, responsables et informés », il est notable que, s’agissant de « la création d’un lieu d’analyse et de réflexion » sur la mission et l’avenir des cégeps, on fait l’impasse sur les notions de transmission et de réflexion critique qui ont de tout temps fondé les institutions d’enseignement et d’éducation — qui plus est les institutions d’enseignement supérieur —, de sorte que celles-ci ne soient pas strictement réduites à la tâche de nous adapter au réel (économique et technologique) et à être des rouages de son accélération.

S’il n’est évidemment pas question de défendre le statu quo et de se poser contre la nécessité de faire évoluer les cégeps, les instances qui voient à leur mission et les formations qui y sont offertes, nous regrettons la précipitation, nous nous questionnons sur la bonne foi de consultations menées si rapidement comme si les résultats en étaient déjà connus d’avance, et nous récusons la conception réductrice de l’éducation dont témoignent aussi bien la langue de ce document que le court temps imparti à la réflexion autour de lui.

 

De la composition du Conseil

La section consacrée aux « membres du conseil » pressentis laisse planer quelques questions irrésolues. Concernant les « enseignants » envisagés pour siéger au conseil, on ne sait notamment s’ils seront recrutés en regard d’une certaine représentation proportionnelle, les collèges offrant des programmes d’études répartis en trois secteurs : préuniversitaires, techniques et liés à la formation générale. Vu l’importance des sujets sur lesquels il est appelé à se prononcer, un tel Conseil ne devrait-il pas compter dans ses rangs un nombre égal de professeurs pour chacun de ces secteurs ? On ne sait pas non plus le poids qu’ils auront au sein du Conseil. Sera-t-il réel ou symbolique ? Quel pourcentage est-il pressenti ? Y aura-t-il dans ce Conseil une représentation proportionnelle de professeurs issus des collèges en ville et en région ? On se demande également à partir de quels critères ils seront recrutés, s’ils seront choisis à même une banque de noms fournis par certaines associations de professeurs, ou si nous aurons droit à un processus opaque où les nominations se font par des méandres plus ou moins secrets, donc sans recours à des justifications publiques.

Une forte présence professorale nous semble cruciale pour que ce Conseil puisse jouir d’une réelle crédibilité dans le réseau. Il suffit d’avoir en mémoire le répertoire du Conseil supérieur de l’Éducation – où ne figure aucun professeur de collège actif – pour saisir les ravages que peut causer une instance où tous sont appelés à se prononcer sur l’éducation, sauf ceux qui sont en première ligne pour l’incarner.

 

De la Formation générale

Même si le document sur la création du Conseil des Collèges n’aborde pas directement la question de la formation générale, on retrouve dans la section intitulée « Modifications au règlement sur le régime des études collégiales » plusieurs formules qui laissent croire que le sens d’une telle formation pourrait être affecté dans un avenir proche. On commence d’abord par réaffirmer l’ « apport incontestable » d’une formation générale qui s’assure « de former des citoyens critiques, responsables et cultivés ». Mais, outre cette profession de foi sans grande conséquence, on ne retrouve rien dans ce document sur un éventuel maintien de la composition disciplinaire actuelle (où s’imposent des cours de littérature, philosophie, anglais et éducation physique).

On ne sait pas davantage si le nombre d’unités requises dans la formation générale demeurera le même, ou si l’accentuation par exemple du parcours par cumul d’AEC — dont ce document ne cesse de réitérer l’importance  — impliquerait que l’étudiant, tout en continuant à suivre quelques cours de la formation générale, pourrait bénéficier d’un parcours au rabais. À vrai dire, l’encadré de la page 17, consacré aux « Questions destinées aux partenaires relativement à l’adaptation des programmes d’études techniques », ouvre de façon manifeste la porte à un nouvel équilibre, dont on devine dans quel sens il ferait pencher la balance : « Quelle proportion d’unités de formation générale et de formation spécifique un module de formation devrait-il comprendre ? »

 

Enfin, on retrouve parmi les « Autres éléments de flexibilité à envisager » la possibilité pour les établissements de fixer eux-mêmes « la définition du terme « cours », au sens de l’article 1 du Règlement. » Pourquoi ouvrir la porte à une telle redéfinition locale du « cours », sinon parce qu’elle permettrait d’en appeler à la sainte fluidité ou flexibilité – termes talismaniques dans ce document – des parcours pour accroître l’offre de cours en ligne, soit de modes de prestation et d’écoute qui impliquent un nouveau calcul du nombre d’heures requis, des travaux à effectuer, etc. ?

Rien dans ce document embryonnaire ne laisse croire que ses rédacteurs ont déjà statué sur ces trois volets et rien, donc, ne peut laisser croire non plus que le flou des formules appartient à une stratégie délibérée pour affecter le sens, voire la raison d’être de la formation générale. Néanmoins, pareilles orientations sont si en phase avec celles que l’on retrouvait dans le rapport Demers qu’elles imposent une vigilance constante. Il serait impératif que les instances chargées de la création de ce Conseil éclaircissent ces points, plutôt que de laisser flotter l’impression que la formation générale « sera maintenue » mais qu’on se sert de cette promesse rassurante pour masquer le fait qu’elle pourrait être réduite ou amputée d’une partie de ce pourquoi elle avait été fondée à l’origine.

 

De l’assurance qualité

Nous constatons qu’une vision réductrice de l’éducation, où prévalent les notions d’adaptation, de productivité et de compétitivité, est à l’œuvre dans la conception de l’évaluation de l’enseignement collégial, toujours pensée en termes d’« assurance qualité », donc en termes quantitatifs et comptables. S’il nous semble effectivement souhaitable que la création d’un conseil des collèges contribue à l’abolition de la CEEC et inscrive sa mission d’évaluation « dans un ensemble plus vaste, intégrateur et visionnaire du développement de l’enseignement supérieur au Québec », rien n’indique dans ce document qu’on aille au-delà de « l’accroissement de la synergie en matière d’assurance qualité dans le système d’enseignement supérieur québécois », ce qui laisse craindre qu’une notion essentiellement managériale et bureaucratique de la qualité ne perdure au sein du Conseil des collèges et de la Commission mixte de l’enseignement supérieur qui veillera à l’arrimage avec les institutions universitaires.

 

D’autres enjeux pour les programmes techniques

De nombreux autres enjeux sont soulevés par ce document et ces consultations, dont le transfert aux collèges de certaines prérogatives ministérielles touchant les conditions d’admission. Concernant les programme d’études techniques et les AEC, on parle également de la possibilités que les collèges puissent ajouter de nouvelles compétences, se doter d’objectifs et de standards additionnels, et établir des modules de formation spécifiques dans leurs programmes. Ces changements mettraient en péril le maintien du caractère national des diplômes et des formations dispensées dans les collèges.

 

Jean-François Bourgeault

Frédérique Bernier

Yannick Delbecque

[1] Le comité École et société est un comité syndical permanent du Syndicat des professeurs du Cégep de Saint-Laurent (SPCSL), qui a notamment le mandat de fournir des analyses qui alimentent la réflexion des membres et des instances syndicales sur les problématiques actuelles en éducation.

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